Dossier : l’ESTA, pour corriger la brèche sécuritaire de l’exemption de visa

Sans rentrer dans des considérations idéologiques, les Etats-Unis constituent une terre d’immigration « par essence » depuis la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, en 1492. Bien entendu, l’alternance entre les gouvernements conservateurs et progressistes a impacté les soldes migratoires annuels depuis les années 1820, mais il n’en demeure pas moins vrai que la construction de la nation américaine doit beaucoup à l’appel du roi d’Angleterre à l’immigration pour peupler la partie septentrionale du continent américain. Deux siècles plus tard, l’administration américaine tente de trouver le juste équilibre entre les retombées économiques positives des assouplissements des entrées et les risques qu’ils induisent sur la sécurité intérieure.

Le Visa Waiver Program (VWP) : les prémices de l’ESTA USA

Cet article n’a pas pour objet de relayer l’histoire migratoire des Etats-Unis d’Amérique. La documentation est en effet très abondante en la matière. Le compte-rendu « La sociologie des migrations aux Etats-Unis » de George Pierre fait d’ailleurs autorité en ce sens.

Les politiques migratoires ont longtemps conditionné l’accès aux Etats-Unis pour les touristes. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que le gouvernement américain, sous Carter puis sous Reagan, a installé une dichotomie dans le traitement des candidatures à l’immigration et les demandes « touristiques ». C’est dans ce contexte qu’est né le programme américain d’exemption de visa (VWP), en 1986. Le VWP a considérablement changé au cours des 30 dernières années, au gré des résultats électoraux, mais aussi et surtout en fonction des événements géopolitiques qui ont marqué le(s) mandat(s) de chaque prédisent. Le gouvernement Reagan, à qui on doit l’initiative du VWP, expliquait que cette initiative pilote de la diplomatie américaine visait à faciliter le tourisme et la réciprocité des voyages « avec les pays amis des Etats-Unis d’Amérique ».

L’ESTA : une conséquence (indirecte) du 11 septembre 2001

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, et selon les propos du FBI, une nouvelle utilité a été greffée au VWP : celle de l’obtention de renseignements dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Une grande partie des changements qui ont affecté le VWP depuis l’année 2001 ont d’ailleurs été dictés par ce nouvel objectif. L’accent a été mis sur l’intégrité des documents fournis par les candidats, l’échange de renseignements a été formalisé puis élargi, la synchronisation entre les différents organes gouvernementaux a été consolidée et le Système électronique pour l’autorisation de voyage (ESTA, pour Electronic System for Travel Authorization) a été imposé à tous les ressortissants des pays exonérés de la procédure de visa. En somme, et en dehors de toute « bévue » (notamment à la frontière mexicaine), plus aucun individu non-américain (et non-canadien) n’est autorisé à fouler le sol des Etats-Unis d’Amérique sans candidater, que ce soit par la voie traditionnelle des visas ou par l’ESTA USA.

Pour l’anecdote, la mise en place de l’ESTA, qui était censée renforcer la politique de la sécurité intérieure des Etats-Unis, s’est parfois accompagnée d’un effet pervers. Il faut savoir que l’Union Européenne exprime chaque année sa « préoccupation » (en des termes très diplomatiques) du fait que les Etats-Unis n’incluent pas tous les Etats membres de l’UE dans le programme de VWP (qui compte 38 pays). La Bulgarie, la Croatie, Chypre, la Pologne (en voie de concrétisation) et la Roumanie (pourparlers en cours) manquent en effet à l’appel. Le principe de réciprocité défendu par le président Reagan est ainsi mis à défaut, car les citoyens américains peuvent se rendre dans ces pays sans visa, que ce soit pour un court séjour touristique ou un voyage d’affaires. En conséquence, l’UE se montre parfois réticente à répondre favorablement aux sollicitations américaines en matière de renseignement, à fortiori lorsque les pays « manquants » sont concernés.

L’ESTA USA : ce puissant catalyseur de l’économie américaine

L’impact des politiques migratoires et des restrictions de voyage sur l’économie a toujours alimenté le débat entre Républicains et Démocrates, à fortiori autour des périodes électorales. Paradoxalement, les derniers chiffres disponibles remontent à 2013, bien que le sujet ait été débattu pendant le duel Trump-Clinton. Globalement, le recoupement des données fournies par les différents acteurs de l’industrie du tourisme montre que les restrictions (Visas) et les assouplissements (ESTA et autres exemptions de visas) impactent positivement l’économie américaine. Le patron de l’US Travel Association s’est d’ailleurs montré dithyrambique par la performance du programme VWP en 2014. Cette année-là, quelque 20,3 millions de touristes s’étaient rendus aux Etats-Unis par l’intermédiaire du VWP, générant près de 190 milliards de dollars en production économique et soutenant près d’un million d’emplois directs. Cette performance impressionnante n’a pas été entachée de séjours illégaux ou d’incidents particuliers à l’échelle de la sécurité nationale. En somme, les restrictions et les assouplissements ont catalysé les arrivées tout en jugulant la menace terroriste. Un franc succès. Toujours selon l’US Travel Association, la seule inclusion de la Corée du Sud dans la liste des pays exemptés de visas a suffi à injecter 1,5 milliards de dollars dans l’économie américaine en à peine deux ans, avec en prime la création de 36 200 emplois.

Plus globalement, et selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme, les politiques de facilitation d’obtention des visas ainsi que les exemptions accordées par les pays du G20 ont un effet positif sur le tourisme et la croissance économique. L’analyse économique des données du ministère américain du Commerce sur les voyages et le tourisme de 1980 à 2016 a montré que le VWP a eu un « impact significatif », à la fois sur le nombre des arrivées, mais aussi sur les dépenses moyennes des touristes internationaux. Toujours selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme, la réciprocité des exemptions de visas (ESTA aux Etats-Unis, AVE au Canada, ETIAS dans l’Union Européenne, dont l’entrée en vigueur est attendue pour 2021) a permis aux pays participants de doubler le volume de leur commerce bilatéral en 20 ans, grâce aux revenus touristiques ainsi qu’aux voyages d’affaires qui ont littéralement explosé pendant la même période. Certains analystes évoquent même une relation positive entre l’exemption de visas et la croissance des exportations américaines vers les pays du G20. Cette assertion n’est toutefois pas basée sur une étude chiffrée.

ESTA : la « feuille de route » de Georges Bush et la règle des 3%

Reconnaissant la valeur économique et les mérites diplomatiques du programme d’exemption de visa, le président George W. Bush a lancé en 2005 sa « feuille de route » pour faciliter l’adhésion de certains pays et permettre ainsi à leurs citoyens d’entrer aux Etats-Unis sans visa (mais avec une autorisation de voyage électronique ESTA depuis le 12 janvier 2009). Chaque pays candidat doit afficher un taux de refus de visa inférieur à 3% pour l’exercice qui précède l’année de sa candidature. L’administration Bush avait initialement identifié huit pays européens susceptibles de rejoindre le programme VWP, à savoir la République tchèque, l’Estonie, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne. Conformément aux dispositions de la feuille de route, le Secrétaire à la sécurité intérieure des États-Unis, après consultation du Secrétaire d’État, peut lever l’obligation de visa pour l’admission au VWP après avoir certifié au Congrès qu’un système automatisé de sortie a bien été mis en place pour vérifier le départ d’au moins 97% des ressortissants du pays en question. Cette mesure s’est par la suite concrétisée par l’ESTA.

Au lendemain de l’entrée en vigueur de l’exemption pour certains des pays européens susmentionnés, les arrivées ont bondi, avec des taux de croissance de deux à trois chiffres. Le nombre d’admissions en provenance de la Lituanie, par exemple, a augmenté de 276% entre 2005 et 2015. Le nombre d’admissions en provenance de la Slovaquie a augmenté de 220%. Le nombre de touristes et d’hommes d’affaires en provenance de la République tchèque, de l’Estonie et de la Lettonie a augmenté de 186% au cours de la même période. Ces performances inattendues n’ont toutefois pas empêché la suspension des entrées « sans autorisation » dès le 1er juillet 2009. Le système de sortie par les airs n’était en effet pas conforme aux dispositions de la loi.

L’ESTA : une majorité de réponses favorables, quelques refus et beaucoup d’anecdotes

L’ESTA est entrée en vigueur en 2009. Parmi les différentes propositions émises par les élus, c’est celle d’un document électronique valide pour 2 ans (qui devient caduc si le passeport du voyageur expire avant la fin de cette durée) qui a été retenue. Après avoir reçu une réponse favorable à sa demande d’ESTA, le voyageur peut séjourner aux États-Unis pour une période maximale de 90 jours. Le site web officiel de l’ESTA a récemment été mis à jour (le 5 août 2019) : toutes les demandes ESTA en attente de paiement ont été archivées. Par conséquent, les voyageurs qui ont candidaté sans valider le paiement des frais dans un délai raisonnable (pas plus d’une semaine) seront amenés à reformuler leur demande et à remplir le formulaire ESTA à nouveau. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le système de l’ESTA n’a que très rarement fait l’objet de problèmes techniques, et le taux d’acceptation dépasse chaque année les 90% pour les dossiers complets. Les motifs de refus les plus courants pour les demandes ESTA sont les suivants :

  • Vous avez donné une réponse mensongère à l’une des questions du VWP ;
  • Vous avez dépassé la durée légale de votre séjour aux États-Unis lors d’un précédent voyage ;
  • On vous a déjà refusé l’entrée aux États-Unis par le passé, notamment pour une raison de sécurité nationale ;
  • Votre passeport actuel a été déclaré perdu ou volé ;
  • Vous avez exercé un emploi non autorisé ;
  • Vous n’êtes pas citoyen d’un pays concerné par le programme d’exemption de visa.

Certains refus ont été largement médiatisés par la presse, principalement par le caractère loufoque du motif. Il y a un peu plus d’un an, Mandie Stevenson, une patiente britannique atteinte d’un cancer du sein en phase terminale, a dû reporter un voyage à New York après avoir accidentellement coché la case « Oui » en réponse à la question relative aux intentions terroristes dans son formulaire d’exemption de visa. Cette native de Falkirk, en Ecosse, a dû voyager d’urgence à l’ambassade des Etats-Unis à Londres pour persuader les autorités qu’elle ne constituait pas une menace pour la sécurité intérieure du pays. Pour reprogrammer son voyage, la jeune femme de 29 ans a dû débourser un supplément de 900 €. Une mauvaise manipulation pendant les formalités de la demande ESTA peut donc vous exposer à de fâcheuses retombées juridiques. Les candidats doivent s’armer de vigilance au moment de répondre à la question « Cherchez-vous à vous livrer ou avez-vous déjà participé à des activités terroristes, d’espionnage, de sabotage ou de génocide ? ».

Dans le cas de Mandie, un simple scroll vers le bas a suffi à faire basculer la réponse de « Non » à « Oui » et à greffer 900 € supplémentaires au budget du voyage.

Benjamin
Salut à tous, je suis Benjamin, l'explorateur et le conteur derrière "LeBaladin". Vous savez, la vie est trop courte pour rester dans un seul endroit, et c'est cette philosophie qui m'a poussé à parcourir le monde. Avec un diplôme en journalisme en poche, j'ai décidé que le monde serait mon terrain de jeu et mon bureau. "LeBaladin" est le fruit de cette passion. Ici, je partage avec vous mes aventures, des plages secrètes de Thaïlande aux marchés animés de Marrakech. Chaque lieu que je visite devient une nouvelle page dans ce livre ouvert qu'est la vie. Vous trouverez des guides détaillés, des conseils pratiques et des histoires qui, je l'espère, vous inspireront à faire vos propres découvertes. Je suis également un grand défenseur du voyage durable. Pour moi, voyager, c'est aussi prendre soin des endroits que nous visitons et des personnes que nous rencontrons. Alors, si vous êtes prêt pour une aventure qui va au-delà des cartes postales, vous êtes au bon endroit.